La beauté est partout.
Je la vois qui scintille dans le regard des gens, dans les pavés des rues, dans leurs cheveux ternes ou étincelants, dans l’évidence de la réalité nue.
La beauté me sourit dans le chagrin du monde ; la beauté me séduit jusques au plus immonde.
Elle est là, elle m’observe ; je n’ai qu’à regarder.
Je la vois même, je crois, quand j’ai les yeux fermés.
Beauté.
Comme un grain de folie, absurde grain de blé, qui cherche ses racines, ignore son passé ; sur nos chemins pourtant, à chaque pas marché, dans le creux des empreintes, il aurait pu germer – ne fût-ce que si quelqu’un eût prêté attention, voire donné un instant, donné de voir l’instant.
Beauté.
Elle a beau s’infiltrer, en vain se présenter, elle reste aux yeux du monde accessoire et futile – aux yeux de nos secondes, accessoire inutile.
Elle est, c’est vrai, dans nos rêves, mais qui pourrait prétendre ne pas la sentir là au sortir de nos songes : un instant elle s’accroche, désespérément proche, et puis, puisqu’on dépêche, qu’on saute dans le futur plutôt que dans l’heure fraîche, car c’est dans sa nature, elle hausse les épaules et nous tourne le dos, retourne en un royaume où les matins sont beaux.
Belle ; la femme insouciante qui marche et sur ses traits, on voit de l’inquiétude et c’est beau à mourir.
Beau ; la colère de l’enfant qui voit son univers tourner là sous ses yeux, et au fond de ceux-ci, l’humeur est à tomber.
Tomber pour s’arrêter, prétexte suffisant, pour pouvoir observer et rester plus longtemps ; mourir pour espérer suspendre les instants, s’asseoir et regarder comme on fait des cours d’eau, sur chaque scène rester, rester infiniment, respirer comme au vent ce qui est tellement beau.
Tellement beau.
Je vois de la beauté dans la ville ; dans mes veines ; dans la bile du mécène, dans les yeux d’un aveugle, dans les bonds d’un infirme, dans l’esprit d’un autiste, dans l’argent des rivières qui confluent leurs hiers, dans la pire frustration, dans la main du mendiant, dans le cœur du savant, dans l’inspiration, dans l’amour du déçu qui fonce en sa détresse, yeux fermés, yeux stupides, vieux regrets, plaintes vides ; dans les doigts du pianiste, les ongles guitaristes, les lèvres trompettistes, les places vides et tristes.
Et surtout dans la pluie, dans le vide et l’audace, dans la peur qui agace, dans la neige en brouillasses, dans les trous noirs de nuit, les caniveaux qui lassent, dégoulinent et grimacent, les silences inquiétants ; qu’y a-t-il de plus beau ? Qui peut rivaliser avec ce sentiment, ces furtifs battements que l’on remarque à peine, ces pas mats et rompant taciturnité saine, ce qui au fond de nous, en nos fors châteaux sages, viscéraux, profonds, subconscients, nous rend notre nature et notre humanité ? Qui oserait, ensuite, oser tourner la page ?
Non, je veux ce don, Etoile, de l’immobilité ; ce pouvoir d’arrêter, de partout circuler, de pouvoir observer, mordre sur le papier, croquer à pleine rétine le beau d’une fraction, d’un infime, infini, indivisible atome de ma vie, du temps, notion humaine, mais qui règne nos âmes, jusqu’à nos libres arbitres.
Temps, tu es beau, car tu es éphémère.
T’apprécierais-je autant si, tel le flot de nos mers, tu abreuvais de vagues et éternels élans les rives de nos terres ? Serais-tu inconstant, si, soudain, permanent, tu te cultivais à moisson, aux foisons du printemps ? Sujet de tant d’histoires et cause de nos déboires !
Temps, pis que le beau, tu fuis, tu passes inaperçu, tu ris ; tant pis.
Beau, coût du sort, dont on ne s’affranchit, tu sautes loin, leste, au-dessus de nos plus hauts désirs.
J’abandonne ; je pardonne, s’il est un créateur, sa folie hasardeuse ou son désintérêt.
Si j’osais, j’essaierais, je crois, de critiquer. Mais collé ici-bas sur mes pieds atterrés, je suis content : je me contente, quand ça me tente, de m’arrêter ; et d’observer.
Et c’est beau.
Tellement beau.