Première impression
L’on discerne à peine les hautes montagnes entourant la capitale du ciel obscur qui leur faisait toile de fond. Il est 5 heures du matin quand le pilote laisse tomber l’avion dans un grand fracas sur la piste de San José, sur l’étroite bande de terre entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique que forme le Costa Rica.
Walter, le gros chauffeur qui m’amène au centre-ville, m’explique que cette large bande de nuages qui surplombe la ville n’est en fait pas constituée de nuages. Le volcan Turrialba éructe régulièrement et crache ses cendres que le vent fait traîner dans le ciel de San José.
Je repense à ce que m’avait dit, un soir, un ami mapuche au Chili, alors que nous observions le volcan de Villarrica rougeoyer dans le crépuscule : personne ne craignait la montagne tant qu’elle ne cessait de fumer. Si un jour elle s’arrête, c’est alors que l’on craint le matin où, l’éruption ayant repris, la lave qui aura eu le temps de refroidir dans le cratère se répandra en cendres sur toute la vallée.
Les nuages de San José sont...
les cendres du volcan !
Les Ticos, comme s’appellent eux-mêmes les Costaricains, sont des gens ouverts et agréables – et ils le savent.
Ils jouissent d’une excellente réputation de sécurité, de stabilité politique et économique et d’un taux élevé d’alphabétisation par rapport à leurs voisins de l’isthme centraméricain. La région a donc mis l’accent sur le tourisme, et les plages des Caraïbes comme celles du Pacifique sont prisées des surfers, baigneurs et autres amateurs de sable fin du monde entier.
Heureusement, les gouvernements successifs ont aussi su préserver les espaces verts, les parcs nationaux et l’exceptionnelle diversité biologique du pays.
"Les parcs nationaux (...) seront des sanctuaires vivants de la vie d'hier et de demain"
Daniel O. Quiros, président du Costa Rica de 1974 à 1978
Plaque vue au parc Morazan, San José.
Et puis, à mon arrivée, le climat est excellent – les cendres du volcan ne sont pas encore tombées du ciel depuis l’éruption de ce matin –, on circule bien car tout le monde est encore en vacances, et c’est donc le cœur léger que je sonne à la porte de l’auberge Van Gogh, à deux pas du centre-ville.
David m’accueille avec un anglais approximatif.
Il est soulagé de voir que je parle espagnol.
Il est tôt, beaucoup dorment encore dans les dortoirs, et la table du petit-déjeuner est encore dressée. Après des tartines de pains qui n’ont, une fois de plus, hélas, rien de la qualité des pains français, je repars marcher un peu dans le centre.
Le vent est fort et les cendres invisibles, maintenant descendues dans les rues, s’engouffrent dans le blanc de mes yeux, dans les plis de ma gorge et nombreux sont ceux autour de moi qui se couvrent le visage ou qui toussent en longeant les murs.
Étonnamment, et malgré cette histoire de cendres, San José me fait une bonne première impression.
En cherchant un peu, elle est due à plusieurs facteurs qui sont en réalité temporaires : un, c’est encore les vacances, et janvier à San José c’est un peu comme Paris en août, il n’y a plus personne ; deux, il fait bon avec un vent frais, ce qui est appréciable lorsque, ne sachant pas trop quels vêtements mettre avant de prendre l’avion pour ne pas mourir de froid avant de partir ni de chaud en arrivant, on a mis des vêtements dits « intermédiaires » ; trois, je suis toujours heureux de découvrir un nouvel endroit, et ce même si c’est une grande ville.
Je dis « étonnamment » car depuis le choc de Manaus, la ville-ordure au milieu de la forêt amazonienne, j’ai une dent contre les grandes villes. Où sera la ville qui me réconciliera avec ses semblables ?
Tout cet espace goudronné, bâti autant à la verticale qu’à l’horizontale, sur tous les types de terrain et même parfois sur les mers, des centaines d’étages au-dessus ou au-dessous du sol jusqu’à en faire de dangereux gruyères que l’on reconsolide avec plus de béton, ou jusqu’à ne plus savoir si nous sommes sous terre ou au énième étage sans fenêtre – jusqu’à ne plus savoir s’il fait jour ou nuit.
L’or précolombien
La découverte du jour, d’ailleurs, se fit trois ou quatre étages sous terre (qu’est-ce que je vous disais), dans les salles coffre-fort du Musée de l’Or précolombien.
Enterrer ces trésors doit présenter des avantages au niveau de la sécurité, certes, mais quelle épouvantable chaleur pour les visiteurs !
Cette collection, détenue par la banque nationale, est la plus importante du monde – et sans doute la plus impressionnante. Innombrables sont les minutieux détails sur les sculptures en or des peuples indigènes. J’étais fasciné par ces empreintes dorées laissées sur l’histoire de cette région par ces artistes d’antan, laissant ma propre empreinte de buée sur les vitrines où je collais mon nez.
Et dire qu’ils utilisaient l’or comme n’importe quel autre métal ! Un exemplaire de propulseur de lance en or est exposé dans ce musée, et il était utilisé par le plus commun des chasseurs. Mais comme ce métal brillait tout de mêmes plus que les autres – et surtout qu’il était des plus malléables une fois fondu – les indigènes s’en faisaient tout de même des ornements et des parures pour le corps.
"Ils utilisaient l'or
comme n'importe quel autre métal !"
Et, en effet, ils parurent bien riches aux explorateurs espagnols qui débarquèrent sur la côte caraïbe un jour de 1508.
Voyant ces autochtones tout d’or parés, ils nommèrent ces rivages « la côte riche », la Costa Rica en espagnol. Pays qui, ironiquement, fut le plus pauvre et le plus délaissé des colonies espagnoles dans le Nouveau Monde.
Délaissé ? Tant mieux !
C’est aujourd’hui le plus prospère et le plus riche de toute la région ! Et je ne parle pas seulement des richesses mesurées par les indicateurs classiques tels PIB, PNB, indice de développement humain ou nombre de machine à laver par foyer, non : riche de la vraie richesse.
Car l’or véritable de ce pays n’est pas dans cette collection de joujoux, bien plus brillants aux yeux des occidentaux qu’à ceux de leurs créateurs ; non, il n’est pas douze mètres sous la Place de la Culture et je ne sais combien de couches de béton armé jusqu’aux dents ; non, l’or véritable du Costa Rica n’est pas dur et brillant… il est ailleurs, plus subtil, bien plus vert et plus vaste – et il est vivant.
L’or vert
Au matin du troisième jour, j’arrive sur la crête qui sépare le Golfo Dulce de la grande vallée de la péninsule d’Osa, sur la côte pacifique sud. Là vit Greibing, sa femme et ses deux filles.
Ils tiennent ensemble un de ces petits établissements que l’on remarque au bord de la route en se demandant qui peut bien s’arrêter là. Mais derrière la façade d’un simple restaurant-bar pour les routiers, El Mirador de Osa offre aux voyageurs fatigués de merveilleuses petites cabanes pour la nuit, cachées par les feuilles géantes des divers palmiers qui poussent dans ce jardin luxuriant, aux portes de la jungle profonde.
C’est de ce jardin que je vais devoir m’occuper, m’explique le maître des lieux. Il faut que les chemins soient toujours dégagés, les pelouses dépourvues de feuilles mortes (mais il faut laisser les fruits tombés pour les oiseaux et les agoutis), les arbres taillés et les branches mortes coupées.
J’aiderai peut-être aussi au service du restaurant les jours de grande affluence. Je me demande encore quand est-ce qu’il y des jours de grande affluence au Mirador, parce que je n’ai jamais vu que deux tables et une chaise haute du bar occupés en même temps.
Mais il y a beaucoup à faire au jardin, et je délaisse donc, dès le lendemain de mon arrivée, les fourneaux de la cuisine standardisée pour la cabane à râteaux, la machette et la brouette qui grince.
Un rapide tour de la propriété m’annonce la couleur du séjour qui m’attend.
Un groupe de singes capucins font l’animation dans les bananiers, des toucans d’au moins trois espèces différentes sifflent dans les goyaviers pour chasser les perruches, les agoutis farfouillent les pelouses et des oiseaux de toutes les couleurs, de toutes les tailles et de tous les chants emplissent les buissons qu’ils visitent de leurs bruyants et joyeux pépiements.
« Qu’est-ce que tu regardes ? » me demande Tatiana, 8 ans.
Je suis en effet comme en admiration devant la mince branche d’un arbuste que je viens de nettoyer.
« Tu vois quelque chose de spécial sur cette branche ? »
« Euh… une autre branche. »
« De spécial, j’ai dit. »
L’enfant reste de marbre, regardant alternativement la banale branche et mon sourire inexpliqué.
« Regarde bien. »
Du bout de ma machette, j’effleure un point précis que je n’ai pas quitté des yeux. Un phasme se met alors à bouger, le rendant enfin visible aux yeux écarquillés de Tatiana qui sourit alors autant que moi. Le déguisement naturel de l’insecte, même couleur et mêmes nuances que le bois de la branche où il restait immobile, l’avait fait disparaitre aux yeux des prédateurs… et des curieux de nature que nous étions.
Pourquoi le Costa Rica ?
Si je suis venu au Costa Rica c’est en effet, notamment, pour sa remarquable biodiversité.
Ce petit pays d’Amérique centrale ne représente que 0,03 % des terres émergées, mais abrite plus de 5 % des espèces animales et végétales connues de la planète.
En soi, c’est déjà une bonne raison d’y aller pour l’amoureux de la nature que je suis.
Mais des pays à grande biodiversité, il y en a pléthore, me direz-vous (surtout sous les tropiques !). J’ajoute donc que le Costa Rica, en plus d’être l’habitat naturel de 420 000 espèces d’animaux, essaie de toutes les faire cohabiter avec la plus envahissante de toutes : l’Homme.
Prenons le contre-exemple de la Chine : le 3e plus grand pays du monde en abrite 10 % des plantes et des vertébrés. Quelle richesse ! Pourtant, 1 espèce autochtone sur 5 est considérée en danger d’extinction (dont le fameux panda géant), et beaucoup d’autres espèces rares sont dites menacées d’extinction. Figurant parmi les pays les plus pauvres en forêt, la Chine n’avait plus que 16 % de terres boisées en 2009 (avec par-dessus le marché plus de 90 % de ses prairies considérées comme dégradées !).
Le Costa Rica, en comparaison, est arrivé au paroxysme de sa déforestation en 1987, tombant à un triste 21 % de couverture forestière. Le gouvernement a depuis pris les mesures adéquates – et les a fait appliquer – et en 2010, pour comparer avec la Chine, c’est plus de 52 % du pays qui est recouvert de forêt.
"When the last tree is cut down..." article de Paul Collar
paru dans le numéro de novembre-décembre 2016 de "El Sol de Osa".
Pour faire simple, je suis venu au Costa Rica non seulement pour sa richesse naturelle, mais aussi parce qu’il s’agit d’une nation qui a pris conscience de sa véritable richesse, la respecte et la fait respecter – même des touristes ! –, qui est éduquée dans ce sens et qui développe toujours plus de projets avec et pour la nature.
Or, si vous avez un peu suivi depuis le début, c’est exactement ce que je recherche…
A suivre...
L'or véritable du Costa Rica