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  • Antrim

Le paradis est rempli de sales bêtes


Après quelque temps passé au Mirador de Osa à tailler des palmiers (vidéo), observer les singes se battre avec les tangaras pour une place forte en haut d’un bananier, relier un tuyau à un puits au fond d’une crique et jouer aux dominos avec Tatiana et Hilary, les deux filles de l’aubergiste, je prends un bateau à travers les mangroves pour un lieu bien plus avancé dans la jungle, plus secret c’est vrai, et surtout plus sauvage : au cœur de la forêt vierge de la péninsule d’Osa.

« Et attention aux serpents ! »…

Je débarque à Drake (prononcer à l’anglaise pour les touristes, et « Draké » pour les locaux) au coucher du soleil, dans un petit hôtel de bord de mer où je suis accueilli par Emilio.

Débarquement à Drake, petit port d'attache sur la côte pacifique.

Débarquement à Drake, petit port d'attache sur la côte pacifique.

Mais je ne passerai pas la nuit dans ces suites luxueuses : Emilio m’emmène dans son pick-up à une vingtaine de minutes du village vers l’intérieur des terres, sur des pistes poussiéreuses qui escaladent les collines avec difficulté et de nombreux virages.

Le véhicule s’arrête dans un courbe serrée. La vue est superbe, le soleil se couche sur la baie de Drake en contre-bas et l’océan pacifique fait miroiter les plis de sa robe infinie jusqu’à aussi loin que mes yeux peuvent porter.

Mais c’est un autre paysage qui m’attend.

De l’arrière du pick-up descend un homme, petit de taille, grand de cœur, des rides au coin des yeux pour avoir tant souri : Macho est le « manager » de la plateforme où nous nous rendons.

Emilio me souhaite bonne chance en me tendant une paire de bottes en caoutchouc par la fenêtre, et retourne au village dans un nuage de poussière ardente.

Macho m’invite à le suivre et nous faisons connaissance. Nous descendons le long d’un sentier à travers la jungle obscure. Il me conseille d'enfiler mes bottes tout de suite.

« Ce sera humide ? » je demande.

« Oui, nous allons remonter la rivière… mais ce n’est pas la raison principale. »

« Ah ? »

« Non, c’est plus pour, disons, les animaux sur lesquels on pourrait mettre le pied. Comme des serpents venimeux par exemple. »

« … »

En effet, si l’on peut s’émerveiller du fait que la jungle du Costa Rica est aujourd’hui encore un sanctuaire pour des milliers d’espèces, il ne faut pas oublier que parmi elles, il y en a vingt-deux de serpents vénimeux, une dizaine de grenouilles, crapauds et salamandres qui sécrètent un venin mortel et bien d’autres insectes à poils, à carapaces ou à écailles à la piqûre très douloureuse, sinon létale.

J’ai donc mis mes bottes.

Nous arrivons à la plateforme dans la nuit noire.

Quelques étoiles seulement percent la haute canopée de la jungle. Je ne verrai pas grand-chose d’autre que mon hamac et le blanc fantomatique de ma moustiquaire ce soir-là.

Ma première nuit est riche en émotion. Pris de douleurs au ventre, que ni la chaleur fébrile et humide ni ma position dans le hamac n’aident à atténuer, je mets le pied dans la maison de nos insoupçonnées voisines les fourmis rouges qui me dévorent jusqu’aux chevilles en allant vomir, puis découvre un scorpion au-dessus des toilettes en allant… bref, j’aimerais me réveiller de ce cauchemar mais tout cela est bien réel.

Avec le recul, je me dis que c’était un peu comme une petite fête de bienvenue de la part de la nature.

Le lendemain matin cependant, c’est un spectacle haut en couleurs et ininterrompu qui m’attend dès le réveil.

La plateforme dans la forêt vierge.

Après un solide petit-déjeuner, je pars en exploration, jumelles autour du coup, appareil photo en bandoulière, sourire aux lèvres et enthousiasme au cœur… et mes bottes en caoutchouc aux pieds.

Macho considère que si je ne vais pas trop loin, je ne risque pas grand-chose – les jaguars se font rares en cette saison.

« Ce n’est pas vraiment les jaguars qui m’inquiètent… » je lui dis.

« Oh ne t’inquiète pas trop pour les insectes, ce n’est pas la pire saison de l'année. Reste à portée de cri c’est tout. »

« Ok. »

« Oh et… attention aux serpents, tout de même. »

Le paradis vert

Vous avez sûrement déjà jeté un coup d’œil à l’album photos de la faune et de la flore du Costa Rica (sinon, cliquez ici !) ; eh bien c’est autour de cette improbable plateforme que la plupart de ces clichés a été prise.

Et c’est bien là le but de cette infrastructure : Emilio, directeur de l’agence touristique « Nativos Corcovado », accueille des visiteurs du monde entier pour qu’ils puissent observer la biodiversité de ce temple de la nature.

Si beaucoup passent la nuit au village de Drake et ne viennent que jusqu’à la plateforme pour un des tours diurnes ou nocturnes organisés quotidiennement, certains décident d’y monter leur tente et de rester, comme quelques volontaires dont je faisais partie, une semaine ou deux au cœur de la nature sauvage.

Certes, la médaille reluisante de cette initiative a son revers : d’abord, si l’on veut montrer la nature préservée, pourquoi décider d’y construire une plateforme et d’y maintenir une activité humaine permanente ? Celle-ci a forcément son impact. Même s’il peut être rendu minime par un microsystème d’agroécologie, un cycle déchets-consommation et un compost rigoureux, je m’étonne de certains choix incohérents comme celui de pomper l’eau de la rivière pour remplir deux gros réservoirs qui alimentent un robinet sur la plateforme, une douche et une chasse d’eau pour les toilettes, qui remplissent à leur tour une aberrante fosse septique !

Il était tellement plus simple d’installer des toilettes sèches, qui produiraient en plus un fertilisant naturel pour le petit potager, et de se laver dans la rivière avec des produits biodégradables et non nocifs pour la vie aquatique – ce que j’ai fait pendant les deux semaines et demie de mon séjour sur place.

La plateforme, notre campement.

Emilio m’explique néanmoins qu’il est important que quelqu’un reste à la plateforme en continu, notamment pour reporter et empêcher des braconniers de venir chasser la nuit avec leurs chiens – activité désastreuse pour les populations de mammifères et d’oiseaux de cette zone. Il cherche aussi à prouver aux propriétaires des zones alentour qu’il est possible de vivre avec peu, mais confortablement néanmoins, sans surexploiter les ressources de la forêt.

Et puis, passionné par l’observation et l’identification des animaux, il vit de sa passion et s’immerge lui-même parfois dans ce qu’il appelle son « paradis vert ».

Une expédition de plusieurs heures à travers la jungle jusqu’à la magnifique cascade du Rio Agujitas me permet de réaliser combien cet endroit est en effet aussi précieux qu’on me l’avait dit. La forêt vierge est si épaisse que la plupart du temps nous marchons dans les rivières, car aucun autre chemin n’est possible à travers l’abondante végétation.

J’observe avec admiration ces arbres millénaires qui ont survécu à toute activité humaine depuis des siècles et qui m’entourent à présent avec solennité.

La cyclopéenne cascade du Rio Agujitas.

La cyclopéenne cascade du Rio Agujitas.

Si c’est cela, le paradis, il est un temple aux piliers monumentaux soutenant une voûte luxuriante ;

il abrite des millions d’êtres aussi divers que surprenants ;

il est mystérieux et insondable, puissant et impénétrable ;

il est un multivers à d’innombrables niveaux, du microcosme au gigantisme, de son profond sous-sol à son inatteignable dôme de vert ;

et si vous voulez y faire un tour, faites attention… il est rempli de sales bêtes.

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