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Antrim

L’État c'est nous ! ... pas Nutella


Des images d'un fait divers qualifié d'émeute à cause de son ampleur ont récemment été largement diffusées, montrant des humains comme un troupeau de moutons se battre pour des pots de Nutella à 75 % de réduction (si vous tenez vraiment à voir ça, suivez ce lien d’un article du Monde en relayant une vidéo).

De nombreux commentaires sarcastiques ont moqué la réaction de ces consommateurs irrationnellement excités.

Puis des critiques ont dénoncé ces commentaires faciles et gratuits en rejetant la faute sur les responsables commerciaux de la marque et du supermarché concernés qui prétendent vendre du bonheur en boîte, sur leurs méthodes de marketing pernicieuses, et finalement sur le système capitaliste dans son ensemble qui manipule les individus pour faire du profit.

« Bah oui, on est manipulés, c’est pas de notre faute », confirment confortablement les hooligans occasionnels des grandes surfaces.

Cette réaction est encore plus dérisoire que la première face à une étiquette de soldes.

Voici pourquoi.

L’État s’occupe de tout…

Trop longtemps, on a considéré notre société comme une masse d’individus isolés et indépendants.

C’était un peu la base de l’idéologie capitaliste : si vous voulez remplacer la famille et la communauté qui auparavant vous assuraient la sécurité, l’éducation, les soins au vieil âge, le travail utile, le sentiment d’appartenance et bien d’autres choses essentielles à la vie, mettez l’accent sur le fait que ces mêmes famille et communauté imposent aux individus un lieu de vie, un ou une partenaire, une manière de penser, voire un métier et bien d’autres choses que nous considérons aujourd’hui comme des contraintes à nos libertés.

En échange, offrez ce que la communauté n’offre pas : devenir un individu ! Vous pourrez vivre où vous voulez, épouser qui vous voulez, vous spécialiser dans ce que vous voulez, voyager, vous divertir, consommer… bref, être libre.

L’État capitaliste s’occupe de tout : éducation de vos enfants (lire Le système scolaire français à bout de souffle), soins et accompagnement de vos aïeux (cf. Le secteur de la prise en charge de nos aînés est dans une crise sévère), construction de logements (voir l'article Près d’un logement sur dix est surpeuplé en France), aménagement des espaces publics et des voiries, assurance de l’emploi, assurance vie…

En échange ? Reversez-lui à peu près la moitié de ce que vous gagnez (1).

Facile non ?

Oui, c’est facile si les citoyens de cet État capitaliste sont effectivement individualisés.

S’ils ne se rendent pas compte du pouvoir énorme qu’ils ont sur leur société.

"J'en ai un !"

Réductions sur un produit superflu = comportement non réfléchi, consommation non raisonnée. Société en perdition.

Crédit : Les Photos de JCB TV & Aviation Videos/YouTube

Le pouvoir dans le moins pire des systèmes

Seuls ceux, ou presque, qui veulent comprendre cette masse de citoyens pour en tirer de l’argent ou du pouvoir, souvent les deux en même temps d’ailleurs, valorisent les interactions entre ces individus.

Hélas ! Car ce sont précisément ces interactions qui forment la base de ce que nous appelons société.

Un quidam pensera aujourd’hui évidemment que ses choix individuels n’impactent guère la société dans son ensemble, et même (pis encore !) que c’est cette société qui guide ses choix.

Or nous avons la chance de vivre en France dans "le moins pire des systèmes" où c’est réellement NOUS qui choisissons le modèle de société le plus approprié à notre développement équitable, équilibré, juste et heureux.

La société c’est nous.

L’État, c’est nous.

Rejeter la faute sur le marché, c’est oublier que la seule raison d’être du marché est le profit, par n’importe quel moyen. Parfois, c'est en créant des biens et des services d'utilité publique.

Pas toujours... s’il doit réveiller en vous l’instinct de guenon, de boxeur ou de chocoholic pour que vous achetiez ce qu’il a à vous vendre et dont vous n’avez absolument pas besoin, il le fera sans plus de scrupule qu’un moustique quand il vous pique pendant votre sommeil.

Rejeter la faute sur le gouvernement, c’est se voiler la face et donner des armes à un système que vous poussez à la radicalisation. Qu’attendez-vous de lui ? Qu’il nous ponde des lois de régulation du marché ? Attendez-vous de l’État qu’il responsabilise les responsables marketing ? Adieu les belles libertés de circulation des biens et des personnes, d’expression et de pensée, et pire, de concurrence, argueront les intellectuels et les publicitaires. (2)

Et puis, êtes-vous réellement prêts à renoncer au dernier modèle de votre série de smartphone préférée ? Certains diront que oui, individuellement ; les statistiques disent que non, généralement.

« Lorsque la culture se corrompt et qu’on ne reconnaît plus aucune vérité objective ou de principe universellement valable, les lois sont comprises uniquement comme des impositions arbitraires et comme des obstacles à contourner », écrit le Pape François dans son encyclique sur l’écologie (3). Or les entreprises sont devenues expertes en saut de haies et autres contournements d’obstacles.

Si l’on demande aux pouvoirs législatif et exécutif, que l’on renforce, de restreindre toujours plus leur champ d’action au nom de la protection et de la dignité individuelles, ce ne sont pas les entreprises qui plieront mais ce sera la classe moyenne, autrement dit la majorité de la population, qui ploiera sous leur poids.

Et les bouquins de lois gros comme des maisons avec lesquels on va se retrouver, cette population nombreuse, éduquée, avertie, aura très envie de les couper en petits morceaux, et c’est reparti comme en 1789.

Expression du pouvoir citoyen : le dialogue.

"When will the lessons be learned?"

… s’écriait Churchill à son ministre des affaires étrangères qui le pressait d’engager des négociations avec Hitler. « Quand tirerons-nous les leçons du passé et cesserons-nous d'accepter la médiocrité d'une situation imposée par d'autres ? »

Oh ! En 2018 les "experts" sont optimistes : l’économie reprend, la crise est loin, sortons consommer, ayons une confiance aveugle dans demain…

« Chaque époque tend à développer peu d’auto-conscience de ses propres limites ». (4)

Sans blague.

Combien de récits d’effondrements civilisationnels les archéologues devront-ils encore publier ?

Combien de cris d’alarme les savants de la vie et de la terre devront-ils encore lancer ?

Combien de cloches sonnées, de pays explosés, de nations assoiffées, de religions créées ou de supermarchés submergés sous les regards désespérés de citoyens aussi critiques qu’inactifs sont encore nécessaires pour que nous comprenions ?

La société Rapanui de l'île de Pâques, comme les Mayas ou les Vikings du Groënland, a beaucoup à nous apprendre sur les conséquences de certains choix concernant l'environnement...

La société Rapanui de l'île de Pâques, comme les Mayas du Yucatán ou les Vikings du Groenland,

a beaucoup à nous apprendre sur les conséquences de certains choix concernant l'environnement...

Quand les leçons du passé seront-elles apprises ?

« Ce qui arrive en ce moment nous met devant l’urgence d’avancer dans une révolution culturelle courageuse ». (5)

Où est parmi mes lecteurs le Churchill de l’écologie ?

Pourquoi l’encyclique sur l’écologie n’inspire-t-elle pas encore la constitution de la VIème République et pourquoi les livres de philosophie ou d’anthropologie ne trouvent-ils pas le même succès que des pots d’huile de palme au cacao, même à 75 % de réduction ?

Face à la crise individualiste du capitalisme, ne croyez pas que mes épaules sont baissées ou mes manches retombées sur mes poignets.

Je suis opti-réaliste : la transition pleine de bon sens est déjà bien en marche partout dans le monde, en témoigne le rapport de mon voyage, et aucun des revers qui l’éprouvent actuellement n’est une fatalité.

Le partage des bonnes pratiques est une des nombreuses solutions ! Ici par Kissline, représentante du mouvement Colibris.

Laissons les moutons qui s’amassent aux portes encore closes d’un supermarché au matin d’un black Friday se piétiner et regardons vers l’avenir. Même ces gens-là, surtout ces gens-là, feront la différence quand ils réaliseront où est le sens de leur vie.

« Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas oublier sa dignité

que nul n'a le droit de lui enlever. » (6)

... pas même Nutella.


Références :

(3) Pape François, Loué sois-tu, Encyclique, éditions du Cerf, Bayard et MAME, 2015. §123, p.100

(4) Id. §105, p.86

(5) Id. §114, p. 94

(6) Id. §205, p. 161


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