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  • Antrim

#2. Nouvelles enquêtes


L’Humain naît sans le demander, vit sans savoir ce que c’est, et meurt sans le vouloir, dit une chanson en espagnol.

Toujours la question du sens de la vie ; sens unique ? Sans interdit ?

Les quêtes de sens, de lien, d’utilité et d’aventure, comme disait Fanny Viry, formatrice sur la suscitation à l’envie d’agir, émergent dans tous les secteurs et toutes les générations.

Quête de sens, quand on se demande si notre passage de vivant sur Terre est vraiment destiné à ce contrat de trente-huit ou quarante heures par semaine, les vivement le weekend – quand ce n’est pas la retraite – et les quelques vacances où l’on n’arrive jamais en bas de la liste de nos envies.

Un camionneur polonais m’a pris en stop quelque part entre Berlin et Stuttgart. Il conduisait depuis trente-cinq ans et avait parcouru en Europe plus de quatre millions deux cent mille kilomètres. On sait que c’est un grand chiffre quand il prend autant de place sur le papier en toutes lettres qu’en chiffres.

Le type avait dû passer plus de temps dans des camions sur les routes que moi dans ma vie sur la Terre.

Il avait parcouru mille fois l’Europe dans toutes les diagonales ; autoroutes, aires de repos, zones industrielles… De sa diversité culturelle il ne connaissait que les différences de couleurs des panneaux de signalisation ; de ses innombrables spécialités culinaires il ne savourait que les sandwichs clonés des stations essence ; de ses multiples langages et de leurs subtiles nuances linguistiques il ne balbutiait que les mots chargement, déchargement et heure de livraison. Et vous savez quoi ? Il aimait bien son job. Et vous savez pourquoi ? Je lui ai demandé, bien sûr. Dans un haussement d’épaules, lui comme ses autres confrères rencontrés derrière mon pouce en l’air, il énonce simplement que the money is good. Can’t complain.

Donc non, aujourd’hui, dans tous les milieux et dans de plus en plus de régions du globe, on se dit qu’il y a autre chose qu’un travail abrutissant à accomplir dans le temps qui nous est imparti entre la naissance et la mort.

Bien sûr, on se raccroche toujours à des détails persuasifs. On se dit que notre quotidien est tout de même stimulant, qu’on le fait pour ses employés, ses collègues, pour son chef qu’on aime bien, au fond, ou pour les clients qui, paraît-il, même si on ne les voit pas beaucoup, sont satisfaits de notre travail. Cela concerne-t-il la majorité de nos contemporains ? Si vous pensez que oui, demandez-vous sur quel échelon de la fameuse pyramide de notre société vous êtes assis et considérez deux choses : vous n’êtes pas tout en bas – la preuve : vous lisez un livre – et voulez-vous vraiment vivre dans une société organisée en pyramide ?

C’est le propre du cerveau humain je crois : on sait très bien râler, mettre le doigt sur ce qui ne nous plait pas ; mais en cherchant bien, quelle autre vie pourrait-on réellement avoir, là, demain ?

Quête de lien, avec ses prochains dans une société d’individus toujours plus isolés les uns des autres.

Faisons écrouler la pyramide de l’exercice précédent, comme d’un grand coup de pied botté dans une fourmilière sous la pluie – perte totale de repères, panique générale garantie. Nous sommes maintenant dans une rue piétonne en centre-ville, assis à une terrasse à déguster un thé glacé sous un haut parasol rouge. Un pauvre homme se traîne jusqu’à un banc public à quelques pas de nous. On dirait qu’il n’a pas pris de douche depuis des mois, qu’il dort dans la rue, et il est si fatigué qu’il s’effondre sur lui-même et ferme les yeux sous ses cheveux sales en bataille. Il ne peut pas s’allonger, car les politiques municipales ont favorisé des bancs avec accoudoirs à intervalles réguliers pour que les sans-abris n’en fassent pas leur lit permanent.

Vous me regardez, peinée. Tu crois qu’il a faim ? Je vous dis que si votre cœur vous inspire une action vous feriez mieux de l’écouter. Une personne sur mille lui achèterait un petit pain ou une part de dessert, et une fois sur cent accepterait-il l’attention, quoiqu’avec méfiance encore.

Quels nouveaux mots a-t-on inventés depuis la création des grandes villes pour évoquer ces univers entiers séparant des citoyens qui se côtoient pourtant de si près ?

Quel lien avons-nous avec le clochard du quartier qui ne regarde que nos pieds quand on va travailler le matin ? Avec les ouvrières qui ont embouteillé votre thé glacé ou les ingénieurs qui ont patenté le système d’ouverture du parasol rouge ? Ce sont bien eux, pourtant, que vous voyez tous les jours, qui vous rafraîchissent ou qui vous font de l’ombre.

Quatre-vingt centimètres de béton et de laine de verre suffisent à interposer un taudis d’un luxueux palace. Une simple palissade séparait, au Brésil, cet immeuble avec jacuzzi sur chaque terrasse d’un bidonville où l’on mourait de soif. Plus près de nous, dans nos villes, on classe nos enfants par tranches d’âges pour qu’ils apprennent tous les mêmes choses en même temps ; quels liens ont-ils avec leurs parents qui les laissent à la cantine pour être tranquilles à midi ? Avec leurs grands-parents qui ont tant de choses à leur apprendre sur l’histoire de la vie et qui préfèrent les laisser devant la télévision – c’est bien plus didactique !

Notre quête de lien remonte à des milliers de générations : gènes sélectionnés parmi les plus sociables de nos ancêtres, et rations quotidiennes de contacts physiques, d’interactions intergénérationnelles et d’apprentissages subjectifs. Bref, faites-vous des câlins, au moins quatre fois par jour.

Quête d’utilité, pour le monde que l’on croit connaître toujours davantage et de manière toujours plus élargie, et donc au sein duquel il est de moins en moins aisé de définir sa place.

Oh ! tout le monde sait très bien ce qui ne va pas autour de nous. Ça nous explose à la figure dès qu’on sort de chez soi ; ça nous perce les tympans dès qu’on écoute les informations. Mais que faire ?

Il y a tant de choses qui vont bien, plein de solutions qui fonctionnent, partout, à toutes les échelles, pourquoi n’est-ce pas aussi vendeur que les avantages qu’on risque de perdre avec la fusion des allocations sociales ou que la canicule qui continue à Bagnols-sur-Cèze ?

En juillet 2015, sept cent jeunes scouts et guides de toute l’Europe ont voté dix-huit résolutions au Parlement européen sur les droits de l’Homme et de la Femme, sur l’environnement, la solidarité, etc. Que des jeunes de différentes cultures se rassemblent et parlent concrètement de solidarité pour le monde de demain, ça ne réjouit donc personne ? N’avez-vous pas envie d’en savoir plus ? C’est quoi une guide ?

Autre chiffre : en 2017, Recherches & Solidarités sondait une partie significative des treize millions de bénévoles actifs en France pour qui la première raison de cet engagement, à 77 %, est d’être utile à la société et d’agir pour les autres.

Il y a des tas de gens comme ça qui donnent de leur temps pour rendre le monde un peu meilleur qu’il n’était quand ils l’ont trouvé. Où parle-t-on de toutes leurs actions ? Qui écrira sur ces visites guidées par des sans-abris pour poser sur sa ville un autre regard, plutôt que sur les baskets les plus instagrammées de l’histoire ? Je connais des journalistes qui ont quitté leur travail chez un journal de l’ouest de la France que je ne nommerai pas, pour faire enfin des articles de qualité sur le monde tel qu’il est. Oui, même les journalistes se rendent compte qu’ils ont mieux à dire. Seulement voilà, ils ne sont plus guère lus ou écoutés quand ils décident de changer. Le blog de ceux-ci s’appelle – oh la belle ouverture pour ce paragraphe – Libres en Quêtes.

Et la quête d’aventure ? Aujourd’hui, tout le monde voyage. On prend des avions pour la moitié du prix d’un autocar et le centuple de son empreinte carbone – laquelle est bien vite oubliée quand la promo dépasse les cent vingt points de caractère sur une page internet. Que va-t-on chercher loin de chez soi ? Dans l’un de mes travaux, j’accompagne de nombreux voyageurs, qu’on l’on appelle ingénieusement des Explor’acteurs. Notre association veut faire comprendre aux nombreux vacanciers qu’on peut voyager autrement que comme dans les magazines, ailleurs que dans les hôtels dominant la plage aussi blanche que les dents des pubs Photoshop. Beaucoup le savaient déjà : on va aujourd’hui dans les auberges de jeunesse, on se déplace en stop ou en bus pas cher, on bivouaque au bord du Yukon… Mais souvent on passe à côté du véritable mode de vie local. On peut acheter sa nourriture à une mère de famille huichol plutôt qu’à la chaîne de restaurants de tacos. On peut randonner en Iran et se faire inviter chez les autochtones plutôt que d’éviter ce pays merveilleux enfoui sous une brume de désinformation et de fantasmes irrationnels. On peut pédaler d’école en école et rencontrer les enfants parrainés autour du Mékong. On peut même aller d’Auray à Sydney en vélo avec une fille de deux ans pour rendre visite à sa sœur.

Oui, on peut faire des choix à l’échelle d’une vie pour répondre à ce besoin d’aventure.

Cela dit, comme je l’ai compris après mes propres pérégrinations, la seule aventure véritable est celle qui nous fait changer de regard.

Et ça, ça se trouve aussi au seuil de sa porte.

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