Je hais le plastique, dis-je en frappant sur mon clavier en PVC, lisant derrière un écran en plexiglas et en parcourant les lignes du rapport de l’ONU avec ma mollette fondue dans un autre type de plastique encore…
D’après ce rapport de début juin 2018, on estime qu’environ 5 000 milliards de sacs en plastique sont consommés dans le monde chaque année, soit presque 10 millions par minute.
On peut y voir une fatalité navrante, mais le texte évoque un défi d’une ampleur décourageante. La nuance est dans le terme défi. On a tout de suite plus envie de s’y mettre que face à une fatalité.
« S’ils étaient attachés ensemble, ils pourraient entourer la planète sept fois toutes les heures ».
J’aimerais que ma boulangère lise ce rapport. Ou juste cette chronique, ça suffirait peut-être.
Pas de papier, pour la baguette : j’ai mon sac en tissu.
Oh, bravo, vous avez raison c’est meilleur pour la planète !
Non, madame, j’ai la tristesse de vous apprendre que la planète s’en fout. Je fais juste ma part pour lui rendre mon mode de vie moins moche, voilà tout. Mais depuis le temps que je lui achète ses tortigraines, ses flûtes du chef, ses festivals ou tous ses autres produits marketing qu’elle arrive à vendre plus cher parce qu’ils ont un nom original, et qu’elle est obligée de les mettre dans mon sac en tissu qui accroche parce que je ne veux pas de son papier qui vivra 150 mètres, je me demande ce qu’elle attend pour dire à son patron qu’il y a peut-être une autre façon de gérer leurs emballages.
Notre Bon Dictateur Vert du mois dernier (voir les chroniques précédentes) aurait vite fait de mettre à cinquante centimes la barquette en carton glacé pour les tartelettes à la fraise et cinquante ou soixante-dix de plus pour le sac en plastique blanc opaque et bien solide qui va de soi parce qu’une barquette n’a pas d’anse et que, ben, du coup, voilà quoi c’est pas pratique à porter ! Les gens râleraient bien une ou deux fois, mais comme il n’y a des boulangeries que toutes les deux rues en centre-ville (il y a encore juste la place entre les pharmacies) eh bien ils auraient tôt fait de ne rien changer à leurs habitudes de consommation et de revenir quand même.
Mais comme on ne veut bien mettre cinquante centimes de plus que pour une baguette parce qu’elle a des graines dedans et un nom sympa et qu’en plus c’est une candidate croustillante au patrimoine immatériel de l’humanité (authentique !), on aura tout aussi tôt fait d’apporter ses propres petites boites en bioplastique de bobo branché pour son éclair au chocolat ou son sac en tissu cousu maison pour sa baguette pastoureau tradition à quasi deux euros les cent-cinquante grammes.
Et encore, nous parlons là d’une dictature verte très laxiste et tolérante. Le Vrai Bon Dictateur Vert interdirait purement et simplement les emballages, et les tartelettes à la fraise par la même occasion pour crime d'hors-saisonalité, et pas qu’en boulangerie. Mais que dirait les petites vieilles du quartier si elles étaient obligées de prendre leur pain avec leurs mains pleines de doigts parce qu’elles oublient tout le temps leur sac en tissu ? Bref.
Traversons la rue pour nous rendre sur la place, juste en face de notre enfarinante boutique. Là se construit le marché des producteurs du département tous les mercredis après-midi. Le fromager a fait un grand pas en avant pour l’environnement… et pour son budget semestriel. Du haut de sa roulotte réfrigérée, il fait déjà payer cinquante centimes l’emballage de faisselle. Pas les petits papiers gras pour les chèvres demi-secs, non, ça ne doit pas lui coûter assez cher pour qu’il ait eu envie de se faire de la marge dessus. Eh bien il n’a pas attendu deux semaines pour réduire de moitié son stock d’emballage, comme il me l'a dit lui-même. Payer le prix du bon fromage à « mon bon petit producteur local », oui ; mais pour le seau en plastique, ah ça non !
Que voulez-vous, c’est ainsi : on ne se rend vite compte de l’aberration des emballages que quand on paie leur prix réel.
Pour beaucoup de mes lecteurs, je dois enfoncer des portes ouvertes. Je le sais, je n’ai pas inventé l’eau en bouteille en verre. Mais si nous la réinventions ? L’eau est bien plus précieuse aujourd’hui que les bulles d’un litre de Fanta pour lequel il en faut deux et demi.
Je veux bien payer 1 € de plus pour un contenant en verre… surtout si on me le rend quand je le rapporte à la boutique ! Comparons à nos chères bières, amies de toutes nos soirées étudiantes, du moins au début, avant que Pablo d’Erasmus Plus ne débouche la téquila. En boirions-nous dans des bouteilles en plastique ? Et le vin : n’en parlons pas ! Oui, les plus modestes se rabattent sur le gros rouge qui tache dans des cubitainers en plastique simili tonnelet… mais tout caviste témoin de ce crime crierait au scandale jusqu’à ce que leur foie soit sourd.
Alors franchement, pourquoi pas l’eau ?
Parce que, me disent souvent certains esprits réticents pour qui l’écologie est une peine écrasante et perdue, qu’est-ce que ça pourra bien changer que je promène une gourde en inox ou que j’achète mes pâtes en vrac quand la Coca-Cola Company consomme deux cents quatre-vingts dix milliards de litres d’eau potable par an et veut arrêter la production de toute bouteille en verre dans le monde pour mettre du plastique à la place ? (Je) tique.
Si-si, mon cher, ils l'ont dit dans Cash investigation.
Oui, c’est vrai ; ça ne changera pas le monde. Ça vous changera peut-être juste vous. Et je citerai deux grands hommes pour mesurer ce que ça fait d’autre par conséquent :
Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde.
– Mohandas Karamchand Gandhi.
Si vous avez l'impression d'être trop petit pour pouvoir changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique et vous verrez lequel des deux empêche l'autre de dormir.
– Tenzin Gyatso, 14e dalaï-lama.
Alors oui, piquez une crise, on a tous le droit de s’indigner. Et puis... piquez aussi les géants dans leur indifférence ?
Source :
Rapport de l'ONU Single-use plastics, A Roadmap for Sustainability, 2018.
Disponible sur : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/25496/singleUsePlastic_sustainability.pdf?sequence=1&isAllowed=y