Imaginez, au milieu d’immense forêt, une ville grise, sale et malfamée.
Une ville où le taux d’humidité descend rarement en dessous de 100%, où les fortes pluies quotidiennes déversent les déchets dans les caniveaux et les égouts à ciel ouvert jusqu’au fleuve au bord duquel elle semble vomir ses immondices. Une ville, enfin, où le climat n’est certainement pas propice aux activités économiques et sociales de notre culture occidentale, mais où l’État insiste pour attirer les entreprises du monde entier et où la population est passée de 300 000 à 2 millions d’habitants en 50 ans, provoquant un véritable désordre urbain dans un processus d’expansion précipité et désorganisé.
Vous y êtes ?
Alors bienvenue à Manaos, capitale de l’État d’Amazonas, au Brésil.
(Note : l’orthographe portugaise Manaus est plus répandue, mais je garde la traduction française pour rendre la prononciation plus proche de la version originale.)
Excavée au bord du Rio Negro, le plus gros affluent de l’Amazone, et grignotée, non : dévorée sur le territoire de la jungle par la seule avidité des colons qui, remontant l'Amazone, voulaient en extraire le précieux caoutchouc, Manaos a pris une ampleur déraisonnée. Depuis la transplantation des arbres à caoutchouc en Europe et en Amérique du Nord, la ville perdit son intérêt. Alors pour relancer l’économie de la région, l’État a récemment décidé d’exempter d’impôts les entreprises s’y installant. Courons-y vite ! Industries automobiles, électroniques, électriques, etc., du Japon, d’Allemagne, des États-Unis, etc. sont venues s’installer et employer à tour de bras.
Mais où loger tout ce monde ?
De la place ? Nous en avons : il suffit de couper ces quelques arbres, là…
Une ville victime de son succès – et une nature victime d’une ville.
À mon arrivée, en ce mois de décembre, il pleuvait.
C’est assez normal pour l’hiver tropical. Et quand il a cessé de pleuvoir, le soleil se réverbérant dans une brume de vapeurs et pollution fit monter la température à en faire suer toutes les pores de ma peau.
Je me dis que je portais des habits bien mal adaptés à cet endroit, avec mon pantalon, mes chaussures fermées et ma chemise à manches longues pour, c’était l’objectif premier, me protéger des moustiques. Pourtant, en regardant autour de moi, à part des tongs que certains, et seulement certains, portaient à la place des chaussures, les gens de cette ville étaient habillés comme à Lyon ou comme à la télé américaine. Et aucun moustique.
Hélas, en effet, tels les Vikings du Groenland qui, suivant la mode européenne du Moyen-Âge plus fidèlement encore que les Européens eux-mêmes, n’adaptant ainsi que trop peu leur mode de vie au climat extrême alors qu’ils vivaient à deux pas des exemplaires sociétés inuits – qui, elles, survécurent – hélas les Brésiliens de Manaos s’habillent comme les Français ou les Américains qu'ils voient à la télévision, pour préserver ou se trouver une identité, transpirant sous leurs jeans et leurs belles chemises made in China (mais vraiment pas made for Amazonia !)
Photo : Un respect de traditions venues d’ailleurs et qui, par ce climat, peuvent paraitre aberrantes : un sapin de Noël géant sur la place du théâtre colonial, deux fierté des habitants qui se forgent une identité décalée par rapport à la réalité du terrain. Et les traditions locales originelles, qui les a intégrées ?
Après une première journée à Manaos avec, au menu, un bus surchargé de gens en sueur, un ciel uniformément gris (sauf quand il y avait des éclairs) et une pluie quasi ininterrompue, une demi tonne de déchets à la dérive dans des tranchées d’égouts que l’on ose encore appeler des rues et une dérisoire tentative d’agression pour voler mon téléphone portable, je suis imprégné de l’idée que cette ville est « bel et bien » moche et male.
Et aberrante.
Une jungle humaine et auto-destructive, avec des lois, des coutumes et un mode de vie inappropriés au milieu de la vraie jungle, de ses vraies lois millénaires et de ses trésors naturels, malgré tout et heureusement encore insoupçonnés.
Je prépare dès ce soir ma première expédition pour le lendemain : l’organisation ICM Bio éduque les populations locales à la préservation des ressources. Je vais rencontrer l'un des responsables.
J’en espère beaucoup.