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Photo du rédacteurMartin

Le bi-cycle


Ce soir-là, rien d’autre que le croustillement des graviers sous mes roues et l’embêtant cliquetis de ma chaîne qui ne demande qu’à dérailler encore.

En plus du train j’ai la chance de compléter mon trajet en vélo.

Avant, j’en avais quatre ou cinq mille dans toute l’agglomération. J’en prenais un à une borne, le reposais à une autre, et je ne m’occupais de rien d’autre que de rouler et de soupirer un peu quand celui que j’avais choisi un peu vite était en trop mauvais état. Ce n’était pas moi qui les réparais, ni moi qui regonflait les pneus ou huilait les maillons. Tant que je ne dépassais pas la demi-heure sur le même vélo, ça ne me coûtait quasi rien.

Maintenant, j’ai mon vélo. Plus de limite de temps ni d’espace. Je peux aller aussi loin que je veux, que je peux, ça me coûtera pareil – juste un peu plus d’effort. Le jour de son acquisition, j’ai eu envie de pédaler jusqu’à l’autre bout de la Métropole, là où une fois j’avais vu un arbre immense au bord du fleuve, puis poser mon vélo sur l’herbe et lire un livre au pied du tronc géant, sans me demander dans combien de pages il faudrait que je repère la borne la plus proche.

Bien sûr, ceux qui font le tour du monde avec leur vélo ne sont pas nombreux. J’en connais. Ils roulent encore avec, de chez eux à leurs rendez-vous. Avec les mêmes sacoches imperméables, juste un peu usées. Ils ont cet élan élégant entre les voitures ou sur les trottoirs de ceux qui savent mesurer leur effort, pas de frénésie des cyclistes à vélos partagés. Les distances ne sont pas les mêmes dans leur esprit d’explorateur. Ils ne craignent pas de se perdre : ça fait partie du trajet. Je les compare à des mammouths en exode, alors que je suis un pique-bœuf virevoltant autour d’eux, profitant de leur sillage entre les klaxons et les nids de poule.

Une tige nue me griffe la main au passage de mon guidon. Je rentre chez moi, mais si je ne voulais pas m’arrêter, je sais que la piste continue le long de la rivière jusqu’à la commune suivante, et même celle d’après ; et ensuite ? En Suisse, à travers les vallées, au-delà des montagnes qu’on aperçoit parfois quand l’horizon est clair. Au-delà… d’autres langages, d’autres climats, d’autres façons de servir le thé. Les cultures des salons varient en fonction de celles des champs. On m’accueillerait à l’arrivée dans le bourg de Khurzuk ; non loin, seul le mont Elbrouz attraperait encore les derniers rayons du soleil. Il ferait froid dehors mais chaud dans les cœurs de cette famille qui m’accueillerait, qui vivrait sobrement, et heureusement.

Déjà arrivé.

J’ai rencontré une Sud-Africaine qui pédalait 2 heures pour se rendre à l’école. Autant pour en revenir. De jour comme de nuit, été comme hiver, tempête comme canicule. Si elle écrivait elle pourrait nous transmettre toute la philosophie de ses voyages quotidiens.

Rêvait-elle du contraire de la sobriété ? C’est quoi : l’occidentalisme ? Se disait-elle que, si elle mettait ses trajets bout à bout depuis le temps qu’elle va à l’école, elle serait déjà arrivée en France, même en contournant la mer ?

Souvent je pense à elle quand je pédale. Nos tours de roues dans nos hémisphères respectifs font tourner la Terre dans le bon sens. Des cycles de deux bicycles pour que le monde continue de tourner. Sauf que de mon côté, le train couvre la quasi-totalité de mon trajet quotidien.

Chacun son train-train.

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