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Antrim

#3. Considérations écologistes


Je me promène au sein d’une forêt où des arbres sont couchés au sol, d’autres pliés comme des tours en carton en haut desquelles on aurait voulu poser un observatoire en béton. Dans les trous laissés par leurs énormes racines, comme des trous d’obus dans une guerre contre le vent, du plastique, sous toutes ses formes les plus ignobles. Bouteilles, paquets, sacs, sachets…

Dans ma rue il y avait un jour des travaux pour lesquels il avait été nécessaire de faire un trou carré. Autour, des barrières ; au fond, un tuyau, de la terre… et les mêmes déchets, quoique plus urbains : des canettes, des mégots, des étuis d’on ne sait quoi et des sacs de dieu sait qui, mêlés à un bon kilo de cervelle inutile à leurs anciens propriétaires.

Je ne sais pas ce qui passe dans la tête des gens, dans leur subconscient. Tiens, un trou ; comme jeter ce que j’ai dans la main par terre risque de nuire à ce qu’il me reste de conscience, je vais plutôt mettre ça dans un trou, ça se verra moins.

J’aimerais que ça leur revienne en pleine face, avec un ressort comme dans les bandes dessinées. Schtooing ! une paille dans la narine, comme à ces poissons qu’on voit sur les photos ; Scrouik ! une feuille de plastique à six trous autour de leur gorge gonflée de prétention, de celles qu’on utilise pour relier entre elles des cannettes de bières qu’on ne voulait pas mettre dans un carton parce que… je ne sais pas. Le carton c’est trop lourd ? Quoi, trop banal ? Qu’est-ce qui passe par la tête des gens qui prennent ce genre de décisions en costume-cravate autour d’une table en verre, avec des trous ronds pour faire passer les câbles des chargeurs de leurs gadgets de fonction ?

Bien sûr, de l’argent. Nous le savons tous. Je posais la question comme ça, pour espérer qu’une autre réponse me vienne. D’ailleurs la seule autre qui me soi venue, c’était rien. Le patron l’a dit, c’est lui qui tient le portefeuille ; on fait comme il dit. Ce soir je dors tranquille et demain on remet ça.

Et le patron lui-même se dit que ce n’est pas vraiment lui qui prend les décisions : la loi du marché, c’est elle qui dirige les entreprises. Pas ma faute, à moi.

Mon amie d’outre-Oder, qui m’a amené devant ces arbres tombés, philosophe un peu, gratuitement, et affirme qu’à la fin, la Nature nous rappelle toujours qu’elle est la plus puissante. L’idée est vieille comme le Nouveau Monde. Pauvre Nature. Si seulement ! Elle a beau souffler sa haine sur la Terre des Humains, le plastique, les poutres en acier, la radioactivité et les trottoirs en goudron, tout ça restera encore bien longtemps après. Elle ferait mieux de faire tomber les centrales électriques ou les tours de dirigeants de multinationales qui mènent leur barque de manière très responsable pour les Hommes… oh et les femmes, bien sûr, plutôt que de coucher sur l’humus ces puits de carbone en bois, ces colonnes de cathédrales naturelles que sont les arbres. Mais les humains ont construit leurs tombeaux de verre et de béton de manière bien plus solide que la sylve ses piliers.

Certes, la Nature est bien plus puissante. Mais sur des millions d’années. Il ne restera rien, alors. Pas même une antenne cathodique ou une batterie de tracteur. Aucune trace de votre dernier téléphone à un demi-salaire ni de ces mots bien vains que vous lisez à présent. Juste ces poubelles qu’on a envoyées en orbite et que rien ne peut altérer, et qui ne nous rappelle pas assez que nous ne sommes pas grand-chose, vus d’en haut. A pale blue dot, disait Sagan.

Considérations cosmiques.

Il y a eu une tempête en octobre dernier, précise cette amie polonaise. Il n’y avait plus d’électricité, donc plus d’eau parce que toutes les pompes sont électriques. De toute façon, on ne boit pas l’eau au robinet ici. Pensez ! Il y a trop d’argent à se faire en la vendant dans du plastique.

Il n’y avait plus non plus d’eau potable car les boutiques ne pouvaient plus ouvrir : certaines étaient fermées par des rideaux électriques, d’autres avaient des caisses électroniques… Seuls le magasin de mes parents a pu ouvrir parce qu’ils utilisent encore une caisse mécanique et une porte d’entrée à serrure manuelle. Du coup tout le monde venait acheter de l’eau chez eux, jusqu’à ce que les stocks soient vides, car les routes étaient coupées et ils n’étaient plus livrés. Ce furent trois jours difficiles.

Trois jours ! Et tout fut rétabli.

Seuls les arbres dans les bois restèrent couchés ; les humains, eux, se relevaient matin et retournaient travailler pour gagner leur pognon et pouvoir acheter de l’eau (!).

Oh comme j’aimerais qu’il y ait parfois un bon ravage à la Barjavel pendant quelques mois, qu’on se rende compte quel couillonisme c’est que de s’agglomérer à si grande échelle.

(Couillonisme, dans le Trésor de la Langue Française, un trésor surtout précieux pour les auteurs amateurs comme moi et les vieux en robe verte sur des bancs en velours, c’est une bêtise ou frayeur érigée en système – bref le mot qu’il me fallait.)

Sans routes, sans courant, sans camions ni pétrole, on ne durerait pas trois jours en ville. Plus rien dans ces couloirs de la consommation qu’on a osé appeler rayons et où l’on oublie ceux du soleil pour ceux des barres de néon.

Plus d’ascenseurs pour monter dans ces tours de pouvoir. Ah j’aimerais les voir descendre leurs cinquante-neuf étages à pied pour rentrer chez eux ! Le chef de l’équipe communication et design du trente-deuxième porte de gauche resterait à dessécher sous son bureau, persuadé qu’il n’y même pas de cage d’escaliers.

Après que toutes les enseignes auront été pillées, les paquets de chips éventrés et les rouleaux de papier toilette déroulés, on se demanderait : ça vient d’où l’eau, quand ça ne sort pas du robinet ?

Voilà une réponse qui ne coule pas de source. On ne va quand même pas boire la pluie, encore moins l’eau du Rhône : il y a eu tellement de cochonneries dessus, dedans et qui restent même au fond.

Ça vient d’où la viande quand ce n’est pas sur les étals ? Voilà une question mortelle.

Où déféquer quand il n’y a plus de chasse d’eau ? Les rues pueraient bien vite ; visions moyenâgeuses.

Alors on se rendrait compte que l’argent ne se mange pas, disait Tatanka Yotanka dans quelle langue déjà ?

Sachons-le, il est bien trop tard pour sauver le capitalisme. On dit « la planète » pour que les gens s’y accrochent, s’engagent dans des associations le samedi et achètent leur quinoa en vrac, mais c’est bien juste de notre trop ordinaire système mondialisé qu’il s’agit – celui que nous adorons tous, basé sur la liberté de circulation, d’expression et de pollution, qui nous permet, pour une poignée d’avatars et quelques pressions de l’index droit, de passer deux semaines par an sur une plage à l’autre bout du monde et de boire du rhum dans une noix de coco, parce que c’est ça qui nous motive à rester les cinquante autres devant un écran à saturer ou un écrou à serrer.

On dit sauver la planète, mais la planète se sauvera bien toute seule.

Si on disait sauver le capitalisme ma voisine de palier avec ses sacs en tissus et ses bocaux en verre jetterait tout ça par-dessus bord, hausserait les épaules et irait pousser un cadis sur le carrelage bien brillant du supermarché du coin : si ça peut l’achever plus vite, pourquoi se retenir ?

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