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  • Antrim

#4. Écolocrature


Un site bien renseigné, revendiqué comme le média qui explore le futur, nous dit qu’à moins d’une bonne dictature verte, on n’arriverait jamais à changer les habitudes des gens suffisamment rapidement. Qu’est-ce que c’est que ça ?

Une bonne dictature, ça a toujours existé.

Ô combien de vieux Allemands ont éprouvé cette fameuse Ostalgie, la nostalgie du régime socialiste d’Allemagne de l’Est qui donnait du travail à tout le monde, au moins, où on avait des ampoules qui ne grillaient pas au bout d’une semaine, et dont le frigo des années soixante-dix marche encore aujourd’hui.

Le mot même de tyran signifiait souverain pour les Grecs de l’antiquité, et celui qu’il désignait était généralement d’humble origine ; porté par le plébiscite, il dictait et exécutait lui-même les lois populaires. Mais le pouvoir monte à la tête de quiconque ne s’y prépare guère ou y reste trop longtemps, et le comportement de ces chefs politiques est bien sûr à l’origine de la connotation actuelle du terme.

Les réformes ne sont populaires qu’un temps. Et pas pour tout le monde.

Dans une démocratie, la majorité – les masses – ont toujours raison ; seules les politiques sociales, quoique toujours intéressées, s’intéressent aux minorités – enfin surtout les plus bruyantes.

Or on sait dans de nombreux milieux comment influencer les masses : le marketing (l’emballage des produits avec des polices arrondies et des petits bonshommes sympathiques qui font des blagues), l’informatique (et ses algorithmes bien calculés pour influencer le vote de votre président), la politique (et ses gestes, ses postures, ses mots bien dosés pour vous faire croire que ce programme vous est forcément bénéfique), l’information (et le choix des sujets traités, de leur présentation forcément tronquée, des « experts » interviewés)… Et ces influences, évidemment, ne vont guère, pour l’instant, dans le sens de l’écologie.

Peut-on encore laisser la voix aussi libre à la majorité ?

Qui accepterait un bon dictateur aujourd’hui en France sous prétexte que la planète en a crucialement besoin ? Que dira Jocelyne quand elle apprendra l’interdiction des véhicules individuels pour se rendre à l’usine au 1er janvier prochain ? Que dira Jean-Noël au député qu’il est chargé de convaincre du bienfait économique des investissements pétroliers quand le nouveau tyran coupera toutes les pipelines à la frontière ? Que soupirera Étienne quand on lui interdira la vaporisation de son champ avec des produits que lui, son père et son grand-père ont pourtant toujours utilisés ? Et que pensera le petit Ibrahim quand ses parents ne lui offriront pas la dernière version de son smartphone parce qu’on aura décrété en haut lieu que la production de ces engins en masse n’est pas soutenable par la planète ?

Se pose aussi le problème de l’inertie : on peut interdire des tas de choses, comme font toutes les bonnes dictatures, mais il restera encore des tas de choses nocives en circulation. Exemple.

Si vous avez acheté l’année dernière un climatiseur pour votre chambre parce que chaque été depuis cinq ans est un nouveau record caniculaire. Bon investissement ! Vous allez pouvoir dormir tranquille. Soudain le nouveau gouvernement annonce que tous les climatiseurs, qui recrachent des gaz toxiques, qui se vendent à raison de dix par secondes en 2018 et qui sont particulièrement énergivores – rien que ceux des États-Unis consomment l’équivalent de la dépense énergétique de… l’Afrique – tous les climatiseurs, donc, seront dorénavant bloqués à 7°C sous la température mesurée dans la pièce. Ce qui correspond d’ailleurs à l’écart recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé pour ne pas tomber malade du fait des différences de températures entre dehors et dedans. Eh bien allez-vous en changer de sitôt ? Votre modèle désormais hors normes fonctionnera encore une petite dizaine d’années, ou moins si l’obsolescence programmée par le constructeur est au point.

Inertie, mais aussi déplacement géographique des problèmes. S’il y a des contrôles des climatiseurs à domicile et une application d’amende bien dissuasive en cas de non-conformité, vous pourrez toujours refourguer votre machine sur le marché de seconde main à des plus pauvres que vous qui n’ont pas les moyens de s’en procurer un nouveau.

En mai 2018, la ville de Hambourg a interdit l’accès à certains axes routiers aux voitures à diesel. Mesure qui a fait beaucoup de bruit mais ne fera que peu d’effets : d’une part les voitures à moteur diesel ne sont pas identifiables de l’extérieur ce qui rend les contrôles impossibles, d’autre part ça ne réduira pas pour autant le nombre de ces véhicules qui n’auront qu’à passer par quelques autres des quatre mille kilomètres de route de l’agglomération hanséatique.

Si on se déplace sans problème, on déplace le problème.

En d’autres termes, si la France devient une bonne dictature verte, au sens écologiste du terme, il faudrait pour que cela ait du sens que tous les pays de l’Union européenne adaptent localement ces nouvelles mesures. Même l’Europe est aujourd’hui indémêlable du reste du monde, et la Chine, les États-Unis, la Russie, autant d’États virant serré vers une dictature déguisée, devraient aussi suivre cette voie pour que le monde verdisse un peu sa face grisonnante. Ce n’est donc pas encore gagné.

Toutefois, l’idée est plaisante.

Pour les écologistes convaincus et plus ou moins exemplaires, les protecteurs auto-déclarés de l’environnement et autres observateurs d’oiseaux sauvages, qu’il serait satisfaisant de voir se vider les supermarchés et apparaître des marchés de producteurs locaux partout en ville ! Qu’il serait bon de savoir qu’on n’importe plus un grain de soja génétiquement modifié d’Amérique du Sud, où des milliers d’hectares sont déboisés, des populations délocalisées et des espèces découvertes à titre posthume pour des céréales qui n’y poussent même pas naturellement ! Ah ils soupireraient d’aise, les hargneux des emballages, en lisant sur un journal en papier recyclé que le plastique est interdit définitivement et de manière contraignante et contrôlée pour tous les contenants et contenus des produits de consommation, comme dans l’État du Maharashtra en Inde depuis mai 2018.

Plus de ces aberrants sacs en bioplastique (!) soi-disant compostables au fond desquels les supermarchés cachent en toutes petites lettres les soixante pourcents de véritable plastique pétrochimique.

Plus de pailles à usage unique automatiquement plantées dans les jus de fruits des protecteurs de la vie marine qui seront ravis de siffler dans leur paille télescopique en inox.

Plus de coton-tige dans leur joli petit boitier léger, spécial voyage en plastique.

Oh, et les végétariens, les militants anti-spécistes et autres mangeurs de plantes, qu’ils seront heureux en voyant que quatre-vingt pourcents des menus seront d’origines végétales dans toutes les enseignes, y compris chez le grand méchant M jaune vendeur de burgers à la chaîne ; imaginez !

Nous avons parlé de l’influence des masses, comme un mouton suit le troupeau, mais n’oublions surtout pas l’influence des minorités : individuellement, nous avons cette admirable capacité à nous émerveiller d’un comportement exemplaire. Des personnes comme vous et moi, nos façons de parler, notre bonheur à faire certaines choses simples ou notre avis sur notre environnement, avons un impact sur notre entourage. Des leaders ont ainsi émergé des foules qu’ils inspiraient de leurs actes et de leurs paroles. Et la minorité trouve ainsi sa place dans la nation, comme Martin Luther King l’a montré aux États-Unis le 28 août 1963.

Bref, vous l’avez compris, on peut déjà faire bouger bien des choses en imposant des mesures contraignantes à nos commerçants, aux agriculteurs et aux industries, mais aussi en ayant à la tête de notre nation des personnalités publiques inspirantes et exemplaires pour nos concitoyens.

En effet, si l’on en revient à ma voisine de palier, ses recettes de lessive maison et ses bocaux de lentilles corail bio ne changent pas grand-chose au tableau général de consommation des ressources en France : les foyers n’en sont pas les premiers responsables. Ses douches de moins de cinq minutes sont très louables, mais dans notre région, la deuxième de France en matière d’activités économiques, la moitié de l’eau consommée coule pour les industries et l’agriculture.

Or, si la prise de conscience des enjeux environnementaux se fait bel et bien ressentir dans les tendances de consommation, tant des biens que des ressources, il faut aussi que les industries et les méthodes agricoles suivent cette tendance.

Les chiffres montrent aussi que cette tendance se note au sein des catégories socioprofessionnelles moyennes et favorisées, mais pas des classes aux revenus les plus faibles qui continuent de croire que McDonald’s reste un lieu de sustentation pas cher, et même plutôt sain parce qu’il y a de la salade et des cornichons dans les burgers. Une récente étude sérieuse montre d’ailleurs que chez McDo, Burger King et autres enseignes de fastfood, il n’y a pas que dans le burger qu’il y a des cornichons.

À suivre...

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